Gartner a publié son dernier « Hype Cycle » concernant les technologies émergentes incluant l’apparition de ce que l’on appelle les Clouds souverains : le résultat de la confrontation entre promesse technologique et réalité géopolitique.
Les technologies disruptives, de par leur nature même, sont destinées à bouleverser le statu quo existant.
Les caméras numériques ont remplacé les pellicules traditionnelles et les véhicules électriques en feront de même avec le moteur à combustion.
Cependant, bien que le changement puisse s’avérer inévitable, la réalité est rarement rose : souvent, la partie touchée par la disruption refuse de s’éclipser discrètement et sans fracas. L’avenir intangible entre en pleine collision avec un présent on ne peut plus tangible et une riposte de la part du statu quo est généralement attendue.
Envisagez par exemple les applications de covoiturage. La mission des entreprises de covoiturage est de révolutionner le transport urbain pour le bien de tous, à moins que, bien entendu, vous ayez beaucoup investi dans l’industrie existante du taxi, par exemple.
Il est vrai que beaucoup de progrès ont été réalisés, pour autant les entreprises d’applications de covoiturage ont également été confrontées à de nombreux obstacles : autant au sens figuré qu’au sens littéral. Cela allant de manifestations de chauffeurs de taxi se sentant lésés à des interdictions pures et simples dans certaines villes. Les plans visant à créer une force de travail virtuelle de conducteurs indépendants ont également dû se confronter aux réalités du droit du travail.
Clouds nationaux
Le groupe d’analystes Gartner a récemment mis en exergue un défi similaire auquel sont confrontés les grands fournisseurs de services cloud. Les technologies cloud, et en particulier le Cloud public, offrent la promesse de services IT omniprésents, libérés des spécificités de l’infrastructure physique, et non entravés par des questions d’identité nationale ou les frontières géographiques. Malheureusement, bien que les géants du Cloud aient en grande partie tenu cette promesse, les frontières nationales et les questions de souveraineté s’avèrent extrêmement résilientes.
Le rapport Hype Cycle for Emerging Technologies 2021 de Gartner fournit un aperçu utile d’une variété de technologies qui selon le groupe fourniront un certain avantage concurrentiel au cours des cinq à dix prochaines années. (Le rapport complet se trouve derrière le paywall de Gartner, néanmoins ce communiqué de presse fournit un bon aperçu.)
L’un des instruments les plus largement reconnus de Gartner pour analyser l’impact d’une technologie, le « Hype Cycle », retrace la croissance d’une technologie depuis le déclenchement de l’innovation en passant par le creux de la désillusion jusqu’à l’éventuel plateau de productivité.
L’une de ces technologies émergentes est le concept de Cloud souverain, qui, selon Gartner, est actuellement au tout début du « Hype Cycle ». Selon Gartner : « Les pays peuvent s’engager vers un Cloud souverain en vue de parvenir à la souveraineté numérique et des données, ce qui en retour induira des exigences légales concernant l’application des contrôles aux fins de protection des données, des exigences en matière de résidence, de protectionnisme et de collecte d’informations ».
La raison pour laquelle un pays ou une région peut vouloir investir dans le développement de son propre Cloud national ou territorial est que, ainsi que certains fournisseurs de covoiturage l’ont découvert, les réalités historiques et juridiques du monde physique sont souvent plus difficiles à surmonter que certains technologues le supposent. Outre les Clouds souverains, les contrôles nationaux sur les données ont également mis en évidence le problème plus large de la souveraineté des données : un ensemble moins bien défini de facteurs qui, dans certains cas, impose la construction de datacenters dans des pays spécifiques afin de se conformer aux lois nationales ou régionales sur la protection des données et la confidentialité (par exemple : le RGPD de l’UE). Bien que la souveraineté des données puisse être positive pour les opérateurs de datacenter régionaux, elle compromet dans une certaine mesure l’approche « échelle » des grands fournisseurs de cloud, en les obligeant à disposer d’une infrastructure dans des pays qu’ils avaient auparavant prévu de desservir depuis un état voisin.
En ce qui concerne la technologie du Cloud souverain en particulier, Gartner explique que bien que le Cloud puisse théoriquement être de nature internationale, les organisations fournissant la technologie sont toujours influencées par des facteurs identitaires et nationaux. « …le marché des technologies et services numériques et cloud est actuellement dominé par des fournisseurs américains et asiatiques. En conséquence, de nombreuses entreprises européennes stockent leurs données dans ces régions, suscitant un certain malaise au niveau politique ainsi que des inquiétudes quant au maintien du contrôle sur ces données et concernant le respect des règlements locaux. »
Souveraineté des données
L’UE va de l’avant avec ses propres plans en matière de Cloud souverain sous la forme de Gaia-X. L’initiative, annoncée en 2019, est conçue pour soutenir la croissance des fournisseurs de services cloud locaux. Bien que cela puisse être considéré comme une riposte à la domination des entreprises cloud chinoises et américaines, ses partisans affirment qu’il ne s’agit pas de concurrence directe, mais plutôt d’établir des règles du jeu équitables. Les acteurs Cloud américains et chinois établis sont libres de rejoindre l’initiative Gaia-X s’ils respectent ses règles conçues pour garantir que les services cloud respectent les politiques de protection des données, de sécurité et autres définies par l’UE. L’UE semble prendre ces plans au sérieux et a affecté une partie de son fonds de relance NextGenerationEU COVID-19 de 750 milliards de dollars pour soutenir l’initiative Gaia-X.
Alors que Gaia-X sera principalement développée autour d’une infrastructure télécoms et de datacenters existants (déjà en place ou prévus) provenant de ses plus de 300 membres, il est prévu d’établir des sites physiques supplémentaires en vue de soutenir l’expansion future. La composition exacte de ces sites est toujours en discussion, cependant la nécessité d’établir des bâtiments ainsi que des sites physiques pour héberger le Cloud constitue un autre exemple évident de la façon dont les idéaux technologiques doivent se confronter au monde réel. L’UE, à l’instar des fournisseurs de services cloud, devra trouver un équilibre entre la demande accélérée de services numériques et la nécessité de garantir que l’infrastructure est construite et exploitée d’une manière durable et respecte les objectifs climatiques (un domaine sur lequel des fournisseurs tels que Vertiv se concentrent fortement actuellement).
En définitive, comme le démontre l’émergence des Clouds souverains, la relation entre disrupteur et disrupté n’est pas à sens unique, mais bien bidirectionnelle. Les services cloud remodèlent le paysage technologique, mais ce faisant, ils se remodèlent également. Il est difficile de dire quelle forme cela prendra au final, mais espérons-le, le résultat combinera le meilleur de deux mondes, l’ancien et le nouveau, et mènera au Plateau de productivité de Gartner plutôt qu’à un enlisement dans le creux de la désillusion.
Si d’autres rapports de recherche sur les datacenters et les infrastructures critiques vous intéressent, consultez la nouvelle page Recherches et Actualités du marché de Vertiv.